Guide pour l’application de la loi Essoc II
Depuis quelques années, le gouvernement s’est engagé dans un choc de simplification en vue d’améliorer la compétitivité de la France. Le secteur de la construction, pierre angulaire de l’économie française, n’y fait pas exception. C’est à travers la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (Essoc) et plus précisément l’article 49 que cette ambition s’est concrétisée. Cet article a pour objectif de « faciliter la réalisation des projets de construction et favoriser l’innovation ».
Ce changement fondamental dans la manière d’appréhender la construction s’est déroulé en deux phases chacune encadrée par une ordonnance spécifique :
- L’ordonnance I, dite Essoc I, a introduit le « permis d’expérimenter », cette première phase a débuté le 31 octobre 2018 et s’est achevée le 1er juillet 2021. L’idée est de laisser au maître d’ouvrage le libre choix des solutions constructives pourvu qu’il démontre un effet équivalent aux prescriptions réglementaires (pour certains thèmes précisés dans la suite). Cette ordonnance était spécifiquement dédiée aux bâtiments recevant des travailleurs (ERT) et/ou aux bâtiments d’habitations. En matière de sécurité incendie, pour les établissements recevant du public (ERP) et les immeubles de grande hauteur (IGH), le permis d’expérimenter était déjà d’application courante grâce à l’ingénierie de sécurité incendie (ISI) et est encadré par deux arrêtés en date du 22 mars 2004[1].
- L’ordonnance II, dite Essoc II, pérennise ce dispositif et l’élargit, cette phase a débuté le 1er juillet 2021. En effet, elle garde le principe du permis d’expérimenter en ayant recours à une solution d’effet équivalent (SEE) mais elle a une visée bien plus large qui passe par la réécriture du code de la construction et de l’habitation (CCH). On passe d’une logique de moyens (les anciennes prescriptions réglementaires) à une logique de résultats. Ainsi, la réécriture se fait en donnant les objectifs généraux à atteindre (ex : contribuer à éviter l’éclosion d’un incendie) avec parfois des résultats minimaux à atteindre.
Cadre réglementaire
Les textes encadrant la démarche de la loi ESSOC II sont :
- L’article 49 de la loi ESSOC complétée.
- L’ordonnance 2020-71 du 29 janvier 2020.
- Le décret n°2021-872 du 30 juin 2021.
- Les décrets de réécriture à paraître.
Essoc II, une situation encore transitoire
L’ordonnance II du 31 janvier 2020 s’est attachée à réécrire la partie législative du livre 1er du CCH tandis que le décret n°2021-872 du 30 juin 2021 concerne sa partie réglementaire. Toutefois, la partie réglementaire du code, en vigueur depuis le 1er juillet 2021, n’est qu’une recodification à droit constant selon la nouvelle organisation des règles fixée par l’ordonnance du 29 janvier 2020, et non pas sa réécriture. Les travaux de réécriture proprement dit ne sont pas terminés et feront l’objet de décrets dédiés, publiés au fil de l’eau.
Cette réécriture est l’occasion de transférer des règles constructives actuellement présentes dans d’autres codes (principalement le Code du Travail) vers le CCH. Ainsi, l’ensemble des règles relatives à la construction des bâtiments, quelle que soit leur destination, se situe désormais dans le Livre Ier du CCH.
Principes généraux de respect des règles de construction
Les objectifs généraux sont à voir comme des clefs de lecture pour le constructeur avec une rédaction simple pour une compréhension facile. Le respect de ces objectifs généraux, fixés au niveau législatif, est une obligation légale pour les constructeurs. Ils couvrent l’ensemble des champs techniques du nouveau CCH à savoir :
- Stabilité et solidité.
- Risques naturels (sismiques, cycloniques…).
- Risques technologiques.
- Sécurité d’usage des bâtiments (exemple : sécurité électrique).
- Sécurité incendie.
- Qualité sanitaire des bâtiments.
- Accessibilité.
- Performance énergétique et environnementale.
Pour rappel, les thèmes pour lesquels il était possible de déroger dans la loi Essoc I étaient :
- La sécurité incendie (résistance au feu et désenfumage).
- L’aération.
- L’accessibilité du cadre bâti.
- La performance énergétique et environnementale.
- Les caractéristiques acoustiques.
- La construction à proximité de forêt.
- La protection contre les insectes xylophages.
- La prévention du risque sismique et cyclonique.
- Les matériaux et leur réemploi.
La manière de respecter ces objectifs dépend du champ technique et trois cas de figure sont possibles :
- Si les résultats minimaux sont décrits par voie réglementaire, alors le maître d’ouvrage doit les atteindre. Dans certains cas, la réglementation peut prévoir une solution technique valant atteinte du résultat ;
- Si aucun résultat à atteindre n’est décrit par la réglementation, alors il a deux possibilités :
- Soit recourir à la solution de référence définie par voie réglementaire qui est réputée respecter les objectifs généraux ;
- Soit recourir à une solution d’effet équivalent.
Cas I : objectifs généraux avec un résultat minimal à atteindre :
L’idée est d’atteindre l’objectif général mais avec en plus un certain « niveau de qualité », le choix de la solution étant laissée libre pour le constructeur ce qui favorise l’innovation. Les résultats minimaux sont le plus souvent exprimés sous la forme d’un seuil fixé pour un critère donné (par exemple le niveau d’isolation acoustique d’une façade : valeur exprimée en dB) mais pas toujours (par exemple, limiter les variations de teneur en eau du terrain à proximité de l’ouvrage [dues aux apports d’eaux pluviales et de ruissellement…]).
Inversement, une valeur chiffrée n’est pas forcément à considérer comme un résultat minimal à atteindre. Il faut que ce soit directement relié à un niveau de qualité du bâtiment. Ainsi, un débit minimal en matière d’aération ne caractérise pas directement la qualité de l’air intérieur d’un bâtiment. Cette valeur est donc à considérer comme étant une solution de référence.
Pour démontrer et justifier le résultat, les textes font alors référence à des méthodes de calcul ou à des attestations délivrées par des entreprises compétentes dans le domaine (mesures acoustiques par exemple).
De manière à faire le lien avec la réglementation (prescriptive) antérieure, des solutions techniques valant atteinte du résultat seront données dans certains cas. Elles sont réputées remplir l’objectif général et le résultat minimal sans avoir besoin de les justifier.
La distinction entre objectif général avec résultat minimal ou non est importante car il n’est pas possible de mettre en œuvre une SEE en remplacement d’une solution technique définie réglementairement.
Cas II : objectifs généraux sans résultat minimal à atteindre :
Démarche générale
Deux choix sont offerts au maître d’ouvrage, le premier est de rester dans un chemin bien banalisé en ayant recours à une solution dite de référence. Cette solution (prescriptive) est inscrite dans la réglementation. Tout comme la solution technique, cette solution de référence est réputée remplir l’objectif général.
Le second choix offert au maître d’ouvrage est de recourir à une solution alternative mais qui devra être validée par un organisme compétent et indépendant du projet. On parle alors de solution d’effet équivalent. La nécessité d’avoir une validation par un organisme tiers spécifique vient notamment du fait que contrairement au cas I, les modalités de justification ne sont pas écrites dans les textes réglementaires. Cette validation se matérialise sous la forme d’une attestation de respect des objectifs. De plus, lors des travaux, un contrôleur technique devra vérifier que la SEE est mise en œuvre conformément à l’attestation d’effet équivalent.
À noter qu’il est possible pour un même projet de recourir à plusieurs SEE. Enfin, le nouveau CCH offre également la possibilité de transformer une solution d’effet équivalent en solution de référence après soumission à l’autorité administrative compétente.
Concrètement, les étapes à suivre en cas de recours à une solution d’effet équivalente sont les suivantes :
1. Le maître d’ouvrage choisit un organisme indépendant qui lui délivrera l’attestation de respect des objectifs. En parallèle, le maître d’ouvrage choisit également un contrôleur technique, agissant en tant que « vérificateur » de la bonne mise en œuvre de la SEE ;
2. Le maître d’ouvrage fournit son dossier de demande à l’organisme indépendant à qui il souhaite confier la mission de délivrance de l’attestation de respect des objectifs ;
3. L’organisme indépendant analyse le dossier, et s’il valide la solution, il produit l’attestation de respect des objectifs grâce au site démarches-simplifiées.fr et la fournit au maître d’ouvrage qui la joint à sa demande d’autorisation d’urbanisme ;
4. Deux options sont alors possibles :
- Option A : Au cours du chantier, le contrôleur technique vérifie que la mise en œuvre de la solution est conforme au protocole de contrôle énoncé dans le dossier de demande d’attestation initiale et rappelé par celle-ci. S’il valide la mise en œuvre, il délivre, à la fin des travaux, une attestation de bonne mise en œuvre de la SEE, grâce au site démarches simplifiées.
- Option B : Le maître d’ouvrage peut choisir de ne pas recourir à la solution d’effet équivalent. Il doit en informer l’administration et remplit alors la déclaration de non mise en œuvre, grâce au site démarches-simplifiées.fr. Il devra alors mettre en œuvre la solution de référence préconisée dans les textes.
Articulation avec les ouvertures réglementaires actuelles
Il existe déjà dans certains champs techniques des ouvertures réglementaires notamment en matière d’accessibilité et de sécurité incendie. Depuis 2014, il est possible de recourir à une solution d’accessibilité équivalente pour les logements d’habitation neufs et les ERP. La loi Essoc II étend ce dispositif à tous les types de bâtiments (existants, recevant des travailleurs).
En sécurité incendie, l’ingénierie de sécurité incendie a été introduite par l’arrêté du 22 mars 2004 (modifié). Elle est explicitement citée dans le nouveau CCH. Ainsi, la justification des objectifs généraux avec une SEE se fait via « des études d’ingénierie de sécurité incendie qui établissent que les exigences fonctionnelles définies par voie réglementaire sont satisfaites » (article L 141-3). Pour la sécurité incendie, la loi Essoc I était résolument tournée vers les bâtiments d’habitation et les bâtiments recevant des travailleurs, l’introduction de la SEE permettait de remplir un vide dans l’application de l’arrêté du 22 mars 2004 (la validation des scénarios d’incendie par les autorités) pour ces bâtiments. La loi Essoc II est quant-à elle transversale.
Il reste toutefois quelques subtilités : le dispositif d’ingénierie de sécurité incendie n’est pas formellement abrogé à compter du 1er juillet 2021 (il pourrait l’être dans le futur) mais il convient désormais de suivre les démarches pour une SEE (même pour un ERP). Seconde subtilité, à l’heure actuelle, les « exigences fonctionnelles » n’ont pas encore été intégrées au CCH, d’un point de vue strictement réglementairement il n’est donc pas possible de délivrer une attestation de respect des objectifs en sécurité incendie (mais il est probable que les autorités fassent preuve de souplesse).
Points nécessitants une attention particulière
Le dispositif de SEE impose que l’attestation soit délivrée au moment de la demande d’urbanisme. Or, dans le cheminement classique d’un projet (phase conception – phase exécution), le dimensionnement final est rarement connu avant le début des travaux. Un assouplissement jusqu’au démarrage des travaux est envisageable (mais n’a pas été acté).
C’est d’autant plus important qu’en cas de recours à une SEE, des contrôles (et des sanctions) sont possibles pendant les travaux et jusqu’à 6 ans après leur achèvement. Ainsi, lors de la construction le plus grand soin doit être apporté au respect des solutions validées par l’organisme qui délivre l’attestation. Il faudra donc porter une attention particulière à cette notion de conformité avec le dossier fourni : quid d’une optimisation / changement de structure tardif en phase de construction ? Qui fixera les règles : les autorités, les contrôleurs techniques ?
Organismes reconnus compétents pour délivrer les attestations de respect des objectifs
Jusqu’au 31 décembre 2023, les organismes reconnus compétents sont ceux déjà définis par la loi ESSOC I et rappelés dans le tableau 1. Pour la sécurité incendie, la liste des organismes reconnus compétents (ORC) en désenfumage au 1er octobre 2021 est donnée dans le tableau 2. Dans tous les cas, les organismes délivrant des attestations de respect des objectifs doivent être assurés en responsabilité civile pour cette activité. A noter qu’aucun acte de construction n’étant réalisé par ces organismes, ils n’ont pas besoin d’avoir une assurance décennale dans le cadre de cette activité.
A partir du 1er janvier 2024, la notion d’organisme disposant d’une certification (respectivement d’une accréditation) spécifique SEE apparaît. Les modalités les définissant ne sont pas encore connues et feront l’objet de décrets ultérieurs.
[1] Arrêté du 22 mars 2004 (modifié) relatif à la résistance au feu des produits, éléments de construction et ouvrages émanant du ministère de l’Intérieur pour la partie comportement au feu et arrêté du 22 mars 2004 complétant et modifiant le règlement de sécurité applicable aux ERP et émanant du ministère de l’Intérieur pour la partie désenfumage
Christophe Thauvoye, chef du service recherche incendie, CTICM