Fixations particulières – absence d’essai d’aptitude à l’emploi
Cet article fait suite à deux précédents articles concernant les essais d’aptitude à l’emploi pour les boulons SB [1] et HR [2]. Il décrit des démarches permettant de traiter les fixations particulières qui n’ont pas fait l’objet de tels essais.
Fixations particulières
Généralités
Il arrive qu’on doive utiliser des produits qui n’ont pas fait l’objet d’un essai d’aptitude à l’emploi. Du point de vue de l’EN 1090-2 [3], il est possible de traiter ce cas comme des « fixations particulières », selon la clause 5.6.11.
Malheureusement, la norme ne fournit pas d’exigence hormis que de telles fixations doivent être « spécifiées ».
Cas des fixations non précontraintes
Les boulons comportant des vis à tête autres qu’hexagonale (fraisée, poêlier, etc.) ou des écrous auto-freinés ne font généralement pas l’objet d’essai d’aptitude à l’emploi. L’EN 15048 [4] couvre potentiellement de tels produits, mais cela ne se constate pas sur le marché actuellement du fait d’une demande trop marginale. Il est donc nécessaire d’approvisionner des composants séparés.
Plus simplement, les tiges d’ancrage traditionnelles en construction métalliques (crosses ou tiges à plaquettes) ne font généralement pas l’objet d’essais d’aptitude à l’emploi.
Note La nouvelle norme NF E 25-811 [5] sur les tiges et cannes d’ancrage décrit un essai d’aptitude à l’emploi qu’il est possible de demander à la commande. Cet essai reprend les principes décrits dans la partie 2 de l’EN 15048 [4].
Le précédent article [1] a montré les liens existants entre l’essai d’aptitude à l’emploi, la norme d’exécution et le calcul conforment à l’Eurocode. L’absence d’essai d’aptitude à l’emploi induit un doute sur la résistance en traction de l’ensemble vis + écrou.
En effet, l’Eurocode 3 partie 1-8 [6] suppose que cet essai a été réalisé et donc que l’association vis et écrou permet d’atteindre la résistance de la vis en traction sans rupture prématurée des filets.
Cas des fixations précontraintes
Il existe sur le marché des fixations particulières spécifiquement conçus pour être mis en précontrainte. Ces produits sont généralement désignés directement par une marque commerciale (Macalloy, Dywidag, etc.). Dans ce cas, le fournisseur doit spécifier toutes les modalités nécessaires à la bonne mise en œuvre de ces produits et il convient de s’y conformer.
En dehors de ces cas, il arrive parfois qu’on souhaite mettre en précontrainte des produits plus « conventionnels » en construction métallique, comme des tiges filetées ou des tiges d’ancrage.
Note Certains fabricants proposent des ensembles de tiges filetées et d’écrous HR ayant fait l’objet d’essais d’aptitude à l’emploi conforme à la partie 2 de l’EN 14399. Ces systèmes sont désignés « bouts filetés HR ».
Le précédent article [2] a montré les liens existants entre l’essai d’aptitude à l’emploi, la norme d’exécution et le calcul conforment à l’Eurocode. L’essai d’aptitude à l’emploi est la méthode de référence pour déterminer les paramètres de mise en précontrainte, son absence rend donc leur mise en œuvre très incertaine.
Démarches normatives
Généralités
Il est possible de se référer à deux documents normatifs pour traiter différents cas de fixations n’ayant pas fait l’objet d’un essai d’aptitude à l’emploi :
- Le complément national à l’EN 1090-2 [7] ;
- L’Eurocode 3 partie 1-8 [3] dans sa version actuelle, ou [8] pour la révision prépubliée.
Ces deux documents ne visent pas exactement les mêmes produits, et ne les traitent pas de la même façon. La problématique principale est cependant bien à chaque fois l’absence d’essai d’aptitude à l’emploi, et cela peut donner des pistes pour d’autres cas qui ne seraient pas explicitement couverts par les documents précités. A noter que les démarches décrites dans ces documents visent exclusivement des fixations non précontraintes.
Le complément national à l’EN 1090-2
Le complément national à l’EN 1090-2 [7] couvre plusieurs cas de fixations non précontraintes dont il est présumé l’absence d’essai d’aptitude à l’emploi :
- Les boulons de diamètres M8 et M10 ;
- Les boulons à tête cylindrique à six pans creux (ISO 4762) ;
- Les boulons « poêliers » (NF E 25-129) ;
- Les boulons avec écrous auto-freinés.
Le complément national [7] traite ces différents produits avec la même démarche. La réalisation d’un essai de compatibilité vis/écrous conformes aux exigences de l’EN 15048 [4] est exigée, sauf dans le cas où le taux de travail en traction est faible (inférieur à 25 %). En pratique, le constructeur est donc supposé faire réaliser un essai d’aptitude à l’emploi dès lors que le taux de travail en traction est significatif.
L’Eurocode 3 partie 1-8
La version actuelle de l’Eurocode 3 partie 1-8 [3] comprend une exigence, au 3.6.1(3), qui précise le coefficient de réduction (0,85) à appliquer aux « valeurs appropriées » de la résistance des boulons lorsque ceux-ci présentent des filetages non conformes à l’EN 1090-2.
Cette exigence peu claire a fait l’objet d’une demande de précision au groupe de travail en charge de la rédaction de l’Eurocode 3 partie 1-8. Il a été précisé que dans ce contexte, il faut comprendre « filetage non conforme à l’EN 1090-2 » comme « filetage n’ayant pas fait l’objet d’un essai d’aptitude à l’emploi ». Ce coefficient est appliqué par défaut à la résistance des tiges d’ancrage dans les recommandations de la CNC2M [9] et dans le guide Fixation et ancrage des ossatures métalliques dans le béton [10] du CTICM.
La rédaction de la révision de l’Eurocode 3 partie 1-8 [8] est plus explicite sur ce point. Cette exigence se retrouve en clause 5.9.1(2) et porte spécifiquement sur les tiges d’ancrage et les tirants. Il est précisé que le coefficient de réduction de 0,85 est à appliquer en l’absence d’essai d’aptitude à l’emploi.
Note Il est d’usage d’appliquer le coefficient de réduction 0,85 aux résistances en traction et en cisaillement de la fixation, comme dans le guide [10] par exemple. L’essai d’aptitude à l’emploi étant représentatif du comportement en traction, la réduction de la résistance en cisaillement peut être discutée. Il faut cependant noter que certaines fixations à filetage externe peuvent présenter des sections transversales inférieures à ce qui est attendue lorsqu’on utilise simplement des boulons SB. C’est par exemple le cas de certains produits galvanisés (filetage externe minoré) ou de certaines tiges filetées dont le diamètre en partie lisse est inférieur au diamètre nominal. En l’absence de donnée plus précise, l’application du coefficient de réduction à la résistance en cisaillement permet de se placer du côté de la sécurité.
À noter également que l’article de Revue construction métallique [11] concernant la résistance en traction des taraudages exploitait également ce coefficient valant 0,85 dans sa démarche de calcul. Il imposait cependant la réalisation d’essai d’aptitude à l’emploi pour les assemblages de classe d’exécution EXC3 ou EXC4. Il s’agissait pour de tels assemblage d’améliorer la fiabilité de la performance du taraudage qui est réalisé par le constructeur métallique, et non par un spécialiste des fixations.
Proposition de démarche générale
Cas des fixations non précontraintes
Les deux démarches normatives décrites ci-dessus peuvent être utilisés comme base pour bâtir une démarche généralisable aux fixations particulières n’ayant pas fait l’objet d’un essai d’aptitude à l’emploi.
Une démarche en quatre étapes est proposée ci-dessous. En principe, elle peut être envisagée pour n’importe quelle fixation non précontrainte comportant un élément à filetage externe (vis, tige filetée, etc.) et un autre élément à filetage interne (écrou, plat taraudé, etc.).

L’article [11] exigeait la réalisation d’essai pour les vis mises en œuvre dans des trous taraudés de classe d’exécution EXC3 et EXC4. Pour de tels assemblages traités dans le cadre de la démarche proposée ici, il parait raisonnable que la réalisation de tels essais puisse être omise si le taux de travail en traction est inférieur à 25%, sauf spécification contraire.
Les étapes 1 et 2 sont cruciales et ce sont celles qui nécessitent quelques connaissances particulières du domaine des fixations.
L’étape 1 permet d’identifier les éventuelles particularités des composants qui exercent une influence sur la résistance de l’ensemble. Par exemple, certaines vis sont dites « à capacité de charge réduite », c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas atteindre la résistance en traction de la partie filetée. C’est le cas de certaines vis à tête fraisée par exemple, ce qui explique que l’Eurocode 3 partie 1-8 prévoit une réduction supplémentaire de la résistance en traction en la multipliant par 0,7.
L’étape 2 quant à elle sert à vérifier « sur le papier » la bonne adéquation des filetages de la vis (ou tige filetée, etc.) et de l’écrou. Traditionnellement, les classes de tolérances des filetage utilisées en construction métallique sont les suivantes (il s’agit notamment de celles utilisées pour les boulons HR, voir l’EN 14399-3 [12]) :

Cas des fixations précontraintes
Aucune des démarches normatives décrites ci-dessus ne donne d’information utilisables pour les fixations particulières précontraintes. Il est difficile de construire une démarche générale de traitement des fixations particulières précontraintes qui se passe d’essai.
Note Des travaux de normalisation en cours (projets de norme ISO 18954 et de spécification CEN/TS 1090-203) visent à proposer un cadre général pour le traitement des fixations particulières précontraintes dans le domaine de la construction. Ils impliquent tous les deux la réalisation d’essais similaires à celui de la partie 2 de l’EN 14399 [12].
En dehors des systèmes spécifiquement conçu pour être mis en précontrainte en faisant l’objet de spécifications de mise en œuvre du fournisseur, l’absence d’un essai d’aptitude à l’emploi ou équivalent est pratiquement rédhibitoire pour une mise en précontrainte maitrisée.
La seule alternative envisageable serait l’application de la démarche de la NF E25-030 [13], mais son domaine d’application exclue les assemblages de construction métallique. De plus, cette démarche assez lourde nécessite notamment d’évaluer le coefficient de frottement dans les filets et entre l’écrou et la surface sur laquelle il s’appuie.
Références
[1] Rodier A. (2025). Essai d’aptitude à l’emploi des boulons SB. Article Métalétech.
[2] Rodier A. (2025). Essai d’aptitude à l’emploi des boulons HR. Article Métalétech.
[3] NF EN 1090-2+A1 (2024). Exécution des structures en acier – Partie 2 : Exigences techniques pour les structures en acier. AFNOR, Mai 2024.
[4] NF EN 15048 (2016). Boulonnerie de construction métallique non précontrainte (toutes parties). AFNOR. Octobre. Novembre 2016.
[5] NF E 25-811 (2025). Fixations – Tiges et cannes d’ancrage. AFNOR. Avril 2025.
[6] NF EN 1993-1-8 (2005). Eurocode 3 – Calcul des structures en acier. Partie 1-8 : Calcul des assemblages. AFNOR. Décembre 2005.
[7] NF EN 1090-2/CN (2020). Exécution des structures en acier – Exigences techniques pour les structures en acier – Partie 2/CN : complément national à la NF EN 1090-2. AFNOR. Novembre 2020.
[8] EN 1993-1-8 (2024). Eurocode 3 – Calcul des structures en acier. Partie 1-8 : Assemblages. CEN. Novembre 2024, Eurocode de 2e génération.
[9] CNC2M (2015). Recommandation pour le dimensionnement des assemblages selon la NF EN 1993-1-8. Document N0175 téléchargeable sur le site du BNCM.
[10] Palacios R., Rodier A. (2023). Fixation et ancrage des ossatures métalliques dans le béton. CTICM, ISBN : 978-2-902720-53-8.
[11] Rodier A. (2016). Résistance d’un taraudage à l’arrachement. Revue construction métallique n°4-2016, pp. 19-30. CTICM.
[12] NF EN 14399 (2015). Boulonnerie de construction métallique à haute résistance apte à la précontrainte (toutes parties). AFNOR. Mai 2015 – Mai 2018.
[13] NF E25-030 (2014). Fixations – Assemblages vissés à filetage métrique ISO – Partie 1 : règles de conception pour les assemblages précontraints (toutes parties). AFNOR, Aout 2014.
Anthony Rodier, chef du service formation, CTICM