Choix du matériau acier vis-à-vis de la rupture fragile – 2e partie
Cet article en trois parties explique la prise en compte de la rupture fragile selon la norme NF EN 1993-1-10 et selon le rapport JRC-CECM EUR 23510 servant de son document d’information.
Cette partie présente de manière synthétique les règles pour le choix des aciers vis-à-vis de la rupture fragile selon la norme NF EN 1993-1-10.
Introduction
Dans la 1re partie de cet article, il a été montré que le but de la méthodologie générale proposée dans la norme NF EN 1993-1-10 et détaillée dans le rapport JRC-CECM de Sedlacek et al (EUR 23510) est de se prononcer sur l’adéquation du choix de la qualité d’un acier donné, vis-à-vis de sa ductilité, par une des deux approches.
La première des deux approches, couvrant la plupart de situations rencontrées dans la pratique, est détaillée dans cette 2e partie de ce texte, tandis que la seconde, limitée à un nombre de situations plutôt rarement rencontrées, le sera dans la 3e.
Approche 1 – Justification en utilisant les valeurs tabulées
Généralités
Cette approche offre à l’ingénieur la possibilité de choisir la qualité de l’acier sans procéder à des calculs justificatifs. Il s’agit donc d’une approche enveloppe qui place en sécurité.
Le Tableau 2.1 de la NF EN 1993-1-10, présenté à la Figure 1, donne l’épaisseur maximale admissible en fonction des quatre paramètres suivants :
- la nuance d’acier,
- la qualité d’acier (à laquelle est associée une résilience),
- la température de référence TEd et
- le niveau de contraintes de référence σEd par rapport à la limite d’élasticité fy.
Ces quatre paramètres sont détaillés ci-après.
Paramètres permettant la détermination de l’épaisseur maximale
Les nuances d’acier traitées dans le Tableau 2.1 sont celles couvertes par les normes Eurocodes pour la construction en acier (principalement la NF EN 1993-1-1 et la NF EN 1993-1-12, à savoir S235, S275, S355, S420, S460 et S690).
Les qualités d’acier, fonction de leur résilience, traitées dans le Tableau 2.1 sont principalement JR, J0, J2, pour les nuances d’acier les plus utilisées, mais aussi M, N, ML, NL, K2, Q, QL et QL1 pour les nuances plus élevées.
Dans l’immense majorité des cas, la température de référence s’exprime comme suit :
TEd = Tmd + ΔTr
avec :
Tmd : température minimale de service. S’il s’agit de la température atmosphérique, elle dépend de la position géographique de l’ouvrage : elle est donnée en fonction de cette position dans l’Annexe Nationale à la NF EN 1991-1-5, paragraphe 6.1.3.2(1). S’il s’agit d’une température ambiante autre qu’atmosphérique, elle doit être précisée dans le CCTP.
ΔTr : terme de correction pour les pertes de rayonnement. Même si la norme NF EN 1993-1-10 renvoie à la NF EN 1991-1-5, cette dernière ne précise pas clairement de quelle température il s’agit. Classiquement, elle est prise égale à -5°C (voir le document de référence EUR 23510).
Note : dans les cas impliquant un choc et/ou le formage à froid, deux termes supplémentaires sont à prendre en considération et la formule pour la température de référence devient :
TEd = Tmd + ΔTr + ΔTε + ΔTε,cf
avec :
: terme de correction pour la vitesse de déformation, dérivée par rapport au temps de la déformation ε. Il est exprimé par la formule suivante :
Pour les cas n’ impliquant pas un choc (chargement statique ou quasi-statique), = 0°C.
ΔTε,cf : terme de correction pour le formage à froid. Il est exprimé par la formule suivante :
où εcf est la déformation due au formage à froid, dont la détermination est détaillée dans le rapport JRC de Feldmann et al (EUR 23510). Pour les cas sans formage à froid, ΔTε,cf= 0°C.
En guise de conclusion, contrairement à une idée reçue, la température de référence ne correspond pas à la température ambiante. Il s’agit d’une température fictive qui traduit, en termes de température, les pertes de ductilité causées par différents facteurs, incluant l’influence de la température ambiante.
Le niveau des contraintes de référence est obtenu à partir d’une combinaison accidentelle d’actions dans laquelle l’action accidentelle dominante A est la température de référence TEd qui conditionne la ténacité du matériau de l’élément considéré (elle peut également générer des contraintes dues à la déformation empêchée) :
Dans cette formule,ΣGk est la somme des actions permanentes, est la valeur fréquente des actions variables et Σψ2iQki sont les valeurs quasi-permanentes des actions variables d’accompagnement.
Note : Il s’agit exclusivement des contraintes de traction.
Lecture du Tableau 2.1
Le sens des valeurs des épaisseurs maximales, données dans le Tableau 2.1, est illustré à la Figure 2, où l’épaisseur maximale est fonction de la température de référence et de la qualité de l’acier (JR, J0, J2, M, N, ML et NL), pour la nuance S275 et pour une contrainte de référence égale à 75 % de la limite d’élasticité.
L’épaisseur maximale autorisée croît avec la température de référence (traduisant une ténacité à la rupture plus élevée). Il est aussi visible qu’une qualité d’acier élevée (traduisant également une ténacité à la rupture intrinsèque élevée) a une influence favorable sur l’épaisseur maximale autorisée.
L’influence de la contrainte de référence (pour les trois valeurs tabulées dans le Tableau 2.1, à savoir 25 %, 50 % et 75 % de la limite d’élasticité) est montrée à la Figure 3.
Note : une interpolation entre les valeurs données dans le Tableau 2.1 est possible, mais il n’est pas permis d’extrapoler :
- Si la contrainte de référence est inférieure à 25 % de la limite d’élasticité, aucune vérification vis-à-vis du choix de la qualité d’acier n’est nécessaire ;
- En revanche, si la contrainte de référence est supérieure à 75 % de la limite d’élasticité, c’est vers le rapport EUR 23510 qu’il faut s’orienter (3e partie de cet article à venir).
La lecture de la Figure 3 permet de comprendre que plus le taux de travail, c’est-à-dire la proportion de la limite d’élasticité mobilisée dans la combinaison accidentelle des actions, est élevée, plus faible est l’épaisseur maximale autorisée pour une température de référence donnée.
Exemple numérique
L’utilisation du Tableau 2.1 de la NF EN 1993-1-10 est illustrée dans cet exemple, sans entrer dans les détails de la détermination ni de la température de référence, ni de la contrainte de référence.
Les qualités de deux nuances d’acier (S235 et S355) nécessaires pour différentes valeurs de l’épaisseur de paroi d’une section reconstituée soudée en ⌶, pour un cas de traction uniforme et un autre de flexion simple (moment positif et moment négatif), sont déterminées à partir des valeurs suivantes des paramètres utilisés dans le tableau :
- température de référence TEd = -20°C ;
- contrainte de référence : σEd = 0,75 fy (traction)
Les résultats sont présentés dans la Figure 4 (extrait du Tableau 2.1).
Le Tableau 1 montre que les parois en compression ne sont pas à considérer vis-à-vis de la rupture fragile.
Références
NF EN 1993-1-10 : Eurocode 3 – Calcul des structures en acier – Partie 1-10 : Choix des qualités d’acier ; AFNOR, 2005.
NF EN 1991-1-5 : Eurocode 1 – Actions sur les structures – Partie 1-5 : Actions générales – Actions thermiques ; AFNOR, 2004.
Feldmann M. et al : Choice of Steel Material to Avoid Brittle Fracture for Hollow Section Structures ; JRC, EUR 25400, 2012.
Sedlacek G. et al : Commentary and worked examples to EN 1993-1-10 “Material toughness and through thickness properties” and other toughness oriented rules in EN 1993 ; JRC-ECCS, EUR 23510 EN, 2008.
Mladen Lukić , directeur de projet de recherche, CTICM